11- Quelle place donner à l’Église en France aujourd’hui
Je reprends
ici le texte d’une intervention que j’étais appelé à donner lors d’une réunion
politique le mercredi 11 octobre dernier, à Lyon. Question d’autant plus
importante que la religion est tous les jours en première page de l’actualité,
que ce soit par le biais des attaques terroristes, des crimes de pédophilie ou
d’autres sujets.
- Empire romain et christianisme,
bref rappel historique.
En 313, il promulgue l’édit de Milan qui accorde la liberté de culte à chacun et met fin aux
persécutions des chrétiens.
Les Églises se créent et
s’organisent autour de centres géographiques (Antioche, Rome, Alexandrie,
Constantinople et Jérusalem).
En 330, Constantin transfert le siège de l'empire de
Rome à Constantinople. L’administration de l’empire déménage. Le patriarche de
Constantinople prend alors un ascendant sur celui de Rome.
- Église comme centre de pouvoir.
EN OCCIDENT
En 395, Rome devient la capitale de l’empire romain
d’occident et le pape le chef spirituel de cette partie du monde.
Les territoires des Églises catholiques et orthodoxes
seront répartis suivant les limites des Empires d’Orient et d’Occident. Mais
Rome aura toujours la volonté d’étendre les siens.
En 1054 a lieu la séparation officielle entre les églises d’Orient et
d’Occident, sous le pape Léon IX ;
En 1073, le pape Grégoire VII édicte le Dictatus papæ, un recueil de vingt-sept règles
qui placent le pape au-dessus de l'autorité des autres Églises, des États, des
rois et des empereurs :
Lui seul peut faire usage des insignes impériaux.
Le pape est le seul dont tous les princes
doivent baiser les pieds.
Son titre est unique au monde.
Il peut déposer les empereurs.
Il ne peut être jugé par personne.
L’Église romaine n’a jamais été dans
l’erreur et ne le sera jamais,
Le pontife romain, s’il est canoniquement
ordonné, est indubitablement sanctifié
Le
pape peut délier les sujets du serment de fidélité fait aux injustes.
L’Église quitte la sphère du spirituel, ou plutôt
l’exploite, pour s’imposer comme centre de pouvoir. De cette volonté
de faire de l’Église une puissance temporelle découlera l’extermination des
cathares, les guerres contre les protestants, les croisades, le sac de
Constantinople en 1204 et presque tout ce que l’on a pu reprocher à l’Église
catholique au cours des siècles.
EN ORIENT
L’Église a souvent été utilisée par les pouvoirs en
place pour fédérer les populations, comme peut le faire aujourd’hui le
président Poutine en Russie, mais elle n’a pas tenté de s’imposer comme
puissance qui se substituait à l’ordre civil. Elle est restée multipolaire,
avec des hiérarchies propres suivant les zones géographiques.
Mais, depuis 80 ans, on assiste à une volonté de
changer ce principe. Au moins pour ce qui est d’avoir une tête unique. Et ce,
il faut bien le reconnaître, sous l’influence des États-Unis.
Le gouvernement turc a imposé des règles qui lui
permettent de contrôler l’élection du patriarche de Constantinople : celui-ci
doit avoir la nationalité turque, son élection doit être validée par le
gouvernement turc… Les Turcs étant membres de l’Otan, ce sont les USA qui
imposent leur candidat, en faisant en sorte que les autres prétendants ne
bénéficient pas de la validation du gouvernement turc.
Athénagoras deviendra archevêque des États-Unis
en 1930. Lorsqu’il est élu patriarche de Constantinople, le 1er
novembre 1948, le président Harry Truman met son avion personnel à sa
disposition pour qu’il se rende à Istanbul. Il n’a pas la nationalité turque à
son départ (il est Grec, né dans le nord de la Grèce, vers Ioannina). Son
passeport turc l’attend à sa descente de l’avion.
Ce seront également des pro-occidentaux, modernistes,
qui lui succéderont avec Dimitrios puis Bartholoméos, lequel était métropolite de Philadelphie
avant de devenir Patriarche. Il est toujours en fonction.
De plus en plus, on assiste à la volonté d’imposer le
Patriarche de Constantinople comme l’unique chef des orthodoxes, comme Rome
avait voulu imposer son autorité au XIème siècle. C’est dans cet esprit qu’a
été organisé le concile panorthodoxe de 2016. Ce concile prévoyait une refonte
de l’organisation de l’Orthodoxie et un mode de gouvernance qui aurait assuré à
Constantinople (et donc aux Américains), un contrôle similaire à celui que
l’Allemagne exerce sur les décisions de l’UE.
Moscou s’y est opposé en boycottant ce concile et en le
faisant boycotter par Antioche (actuelle Syrie), la Bulgarie et la Géorgie.
Actuellement, les ambitions de Bartholoméos sont
revues à la baisse, car différents éléments portent à croire, qu’il a soutenu le coup d’état
contre Erdogan. Il est notamment parti « en vacances » quelques heures avant le début du
coup d’État. Depuis, la
Turquie surveille ses mouvements et il ne s’expose plus beaucoup en public.
Depuis ce coup d’état, Erdogan s’éloigne de l’Otan et
des USA et se rapproche de Moscou. L’un des enjeux, c’est que la nomination du
patriarche de Constantinople puisse se faire en concertation avec la Russie, et
non plus avec les USA, ce qui va mettre un coup d’arrêt aux ambitions
politiques du patriarche de Constantinople.
Le clergé est un réseau d’influence, comme peuvent
l’être les journalistes, les juges, les hommes politiques, etc. À ce titre, il
suscite les convoitises d’autres réseaux qui tentent de l’infiltrer et de
l’utiliser, comme la franc-maçonnerie.
En 2010, a été nommé le nouveau prêtre orthodoxe de
Lyon, le père Nicolas Kakavelakis. Deux mois plus tard, il était impliqué dans
une affaire de mœurs dont s’est plainte une étudiante chypriote. C’est à moi
qu’elle s’est confiée. J’en ai informé le supérieur hiérarchique du père
Nicolas, l’archevêque Emmanuel Adamakis, à Paris, qui a fait pression pour que
la fille se taise, et moi aussi. J’ai alors écrit au patriarche de Constantinople,
supérieur hiérarchique de l’archevêque, en lui envoyant le rapport de police et
le témoignage de la jeune fille. Mon recommandé est arrivé le 29 septembre 2011. Le jour même, quelques heures plus tard, une invitation m’a été envoyée, me
proposant de rejoindre la franc-maçonnerie. Je n’ai jamais eu d’autre réponse
que celle-là.
- Église comme moteur philosophique.
Lorsque les chrétiens se sont occupés de faire vivre
le message de l’Évangile, ils ont contribué à transformer les mœurs dans le
sens d’un plus grand humanisme.
Une amie mexicaine, venue faire des études de musique
à Lyon, me disait qu’on sentait que la France était un pays enraciné dans le
christianisme, car les gens ne se tuaient pas comme ils pouvaient le faire dans
son pays (2ème pays le plus meurtrier au monde).
Le christianisme a mis fin à la légitimité pour les
hommes de tuer au nom de Dieu. Il a remplacé la loi du Talion par l’amour des
ennemis.
Le christianisme a fait évoluer le regard des hommes
sur la valeur de la vie humaine.
Depuis le premier jour, les esclaves sont considérés
comme ayant les mêmes droits humains que les hommes libres (Blandine, martyrisée
à Lyon en 177 sous Marc Aurèle, était esclave).
Les chrétiens ont mis en place les hospices et les
œuvres de bienfaisance. Ils se sont toujours occupés de protéger les plus
faibles.
Ils ont énormément contribué à favoriser l’accès à
l’enseignement des enfants et gardent aujourd’hui les meilleures écoles
privées, avec des taux de réussite aux examens qui sont impressionnants.
On peut résumer la pensée chrétienne comme étant la
protection du plus faible en toute chose.
Nous sommes actuellement à un tournant de la
civilisation. Nous nous éloignons d'un modèle tourné vers la protection du plus
faible pour aller vers un modèle qui place la convoitise individuelle au
centre.
Dans la PMA ou la GPA, l’intérêt de l’enfant est
sacrifié, comme l’a très bien montré Aude Mircovic, juriste et maître de conférences.
C’est également ce vers quoi nous tendons avec
l’euthanasie : nous ne protégeons plus le faible en essayant de le sauver,
mais nous nous en débarrassons. Nous en arrivons à ce que des médecins passent
de l’application stricte du serment d’Hippocrate, qui prévoit de préserver la vie
par tous les moyens (Je ne remettrai
à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une
pareille suggestion), à l’obligation de devoir porter la
mort.
Etc.
- Conclusion.
Jean Jaurès écrivait : Il faut donc qu’en tout élément, il y ait, outre son activité propre,
un fonds d’être et, si je puis dire, une réserve d’aspirations tendant vers la
forme : il faut donc que, dans tout élément d’activité finie, il y ait de
l’être et toujours de l’être à l’infini. Car il n’y a rien qui limite et mesure
a priori l’aspiration des éléments de l’univers vers une forme toujours plus
belle et une unité toujours plus vaste. (Jean Jaurès, De la
réalité du monde sensible, éd. Félix Alcan, Paris, 1902, p. 19)
Il dira, dans un discours devant la Chambre : J’ai, il y a vingt ans, écrit sur la nature
et Dieu et sur leurs rapports et sur le sens religieux du monde et de la vie un
livre dont je ne désavoue pas une ligne, qui est resté la substance de ma
pensée. (Jean Jaurès, Pour la
Laïque, discours
prononcé les 10 et 24 janvier 1910 à la Chambre des Députés)
Ainsi, Jean Jaurès, député socialiste, l’un des
rédacteurs de la loi de séparation des Églises et de
l’État, ne voyait
pas la laïcité comme un athéisme militant, mais comme un moyen de placer l’État
au-dessus des intérêts particuliers et des ambitions des Églises.
Il n’en reste pas moins que la France est pétrie des
valeurs chrétiennes. Elle protège les faibles. Elle protège les femmes. Elle
protège les enfants. Elle interdit les vengeances et ne reconnaît pas d’autre
justice que la sienne ni de lois qui lui soient supérieures. Si la protection
du plus faible est une valeur chrétienne, un État ne doit pas oublier que sa
responsabilité va à ses citoyens. C’est eux que l’État se doit de protéger. Les
plus faibles, ce sont les deux jeunes filles qui ont été assassinées à
Marseille, et non le Tunisien qui les a poignardées. Ici, l’État a failli.
Le Vatican est trop souvent à la religion ce que
l’Otan est à nos forces armées : un commandement intégré supra-national
qui tente de nous imposer de l’extérieur ses propres décisions.
Là est la limite de l’Église. La France ne peut pas
accepter que le pape vienne lui imposer ce qu’elle doit faire. Elle ne peut pas
accepter d’entendre qu’elle doit accueillir tous les réfugiés (que chaque paroisse accueille une
famille). Indépendamment
de la position de chacun sur les réfugiés, l’État n’est pas inféodé à l’Église.
C’est l’État qui décide qui il accueille sur son territoire, et non les
paroisses. L’État n’est pas opposé à l’Église, mais il lui est supérieur. Les
intérêts de l’institution religieuse ne sont pas supérieurs aux intérêts des
citoyens français mais appelés à coexister en symbiose, en veillant toujours à
ce que l’un ne se substitue pas à l’autorité de l’autre.
Le fait que le Cardinal Barbarin soit cité à
comparaître du 4 au 6
avril 2018 est une très bonne chose. Cela doit nous rappeler que l’Église est
un moteur philosophique, mais qu’elle perd sa légitimité lorsqu’elle tente
d’exister comme centre de pouvoir susceptible de se soustraire à l’ordre de
l’État.
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